Sénégal : Portraits de l’océan

Pêcheurs, fabricants de pirogues, vendeuses sur le marché... Au Sénégal, 600 000 personnes vivent du commerce halieutique. Portraits.

Lorsqu’il arrête l’école en CM1, Bougouma, surnommé “Pap”, passe ses journées avec un pêcheur de M’Bour, deuxième plus grand port de pêche du pays. Il fallait aider et décharger sa mère, seule au foyer. “J’ai vu ma situation très critique, même manger posait problème”. Il fallait donc réagir. En récompense pour la main-d’oeuvre que fournit Pap à son “employeur” : un logement, de la nourriture et l’apprentissage d’un nouveau métier.

Quand Pap a 16 ans, le patron quitte le Sénégal pour se marier en France. Il hérite alors du commerce et du garçon de son employeur. Il se marie, et devient père de deux petites filles. Il devient alors urgent de subvenir aux besoins de toute la famille. Alors tous les jours, avec sa pirogue et son équipage, il plonge, récolte et revend ce qu’il a pu trouver dans l’océan. Lorsque les fins de mois sont difficiles, Pap organise des sorties touristiques avec sa pirogue.

Dans la maison de Pap, une chèvre nommée « Mintou » et un flux constant de voisins, amis ou famille défilent dans la cour principale.

C’est les yeux déjà rougis par le sel de l’eau de mer, qu’il part au travail. Mais malgré la fatigue, il reste fier : “C’est moi le chef de la famille!”.

“Pap” pratique la pêche commerciale. Une pêche qui, selon l’État, contribue à la « lutte contre la pauvreté, à la sécurité alimentaire et à la croissance ».

Un thé, toujours partagé, annonce le début de la journée. Un sachet, deux tasses, trois infusions.

« Le premier fort comme l’homme. Le second doux comme l’amour. Le troisième, mystérieux comme la femme. »

Lorsque le mystère est résolu, il est temps d’aller au travail. La dizaine de personnes s’éparpillent pour vaquer à ses occupations. Il est 10h. Pap récupère son matériel : un casque rouillé, des gants troués, une combinaison de plongée, des palmes et des sacs pour ramasser sa récolte.

Il plonge, une minute, et donne sa récolte à son équipage présent sur le bateau. Pendant plusieurs heures, c’est la même rengaine : plonger, donner, plonger, donner. Sur le bateau, l’équipage tape régulièrement sur la coque pour que Pap entende la position du bateau sous l’eau. Un bidon blanc accroché à ses pieds flotte dans l’océan, il indique sa position.

Des journées incertaines

Les revenus des pêcheurs dépendent de la météo.

“5 000 FCFA pour une journée normale, 50 000 pour une très bonne journée.” explique-t-il. Soit entre 7 euros et 76 euros. Parfois, les mauvaises conditions climatiques empêchent les pêcheurs d’aller travailler. Ils peuvent rester un mois sans aucun revenus. Partir en mer est trop risqué.

Propriétaire de la pirogue, Pap garde la moitié du butin pour rembourser les frais (achat de la pirogue, essence...). Le reste est réparti entre tout l’équipage.

Il aime ce métier, bien qu’il soit difficile.  Les yeux rouges, de l’eau stagnante dans les oreilles, les coupures des rochers, la concurrence entre pêcheurs, et les journées sans travail. Mais tous les matins, il se lève, prépare le thé, fume un peu d’herbe, prend son matériel et rejoint son équipage.

Capitaine d’une pirogue surnommée “France”, Sadia Fall est issu d’une famille de pêcheurs à Ndangane, un village de pêcheurs proche de la Gambie. Avec son équipage, il part plusieurs jours en mer. L’objectif : ramener des barracudas pour l’exportation en Europe et dans les pays limitrophes.

Pendant ce huis clos d’une dizaine de jours, les onze membres de l’équipage vivent ensemble, la plupart du temps sous une bâche qui couvre l’extrémité de la pirogue. Avant de partir, ils empilent de la glace dans des caisses pour conserver le poisson. Lorsque les caisses sont pleines, ils peuvent rentrer à Ndangane.

À bord, le confort est rudimentaire. Un réchaud et du charbon pour faire du thé et préparer le plat national : le “Tiep bou Dienn” (riz au poisson). La pirogue s’enfonce parfois jusqu’à 100 kilomètres en mer pour trouver assez de poissons. Les méthodes de pêche des chalutiers étrangers rendent le poisson de plus en plus rare, les petits pêcheurs doivent prendre des risques plus importants pour ne pas rentrer les mains vides. S’il y a autant de marins sur le bateau, c’est essentiellement pour tirer le filet, une action très physique. En cas de vent, il s’agit d’une véritable épreuve de force. Le filet est lancé à 17h et repose en mer jusqu’à 3h du matin. Il est ensuite tiré en pleine nuit, le poisson entassé dans les bacs à glace.

L’équipage se repose entre 17h et 23h. Les pêcheurs se relaient pour surveiller le bateau en cas de conflit avec les pirates, ou pour éviter de se faire renverser par les gros chalutiers. Au retour, un camion attend de récupérer la marchandise que Sadia et son équipage déchargent sur le port de Ndangane, avant de filer tout droit jusqu’aux usines de Dakar. “Les pêcheurs n’ont pas d’heure, pas de rythme”, entend-on souvent auprès des principaux concernés.

C’est après un échec pour se rendre clandestinement en Espagne que Sadia Fall a décidé de devenir pêcheur. Comme pour beaucoup d’autres, le schéma est le même : une famille pauvre et nombreuse, et le besoin de soutenir financièrement ses parents. Il arrête donc l’école en CM2 pour se consacrer pleinement à cette activité.

Avant d’être pêcheur, Issa N’dial est avant tout étudiant. À 21 ans, il prépare le baccalauréat, dans l’espoir de devenir ministre. “Tout sauf être pêcheur” soupire-t-il. En attendant, il pêche le poulpe avec des amis pendant les vacances, pour payer l’université, les fournitures et sa nourriture.

D’abord observateur, il apprend le métier auprès de ses amis. Aujourd’hui, cette activité lui permet d’être autonome. Issa et ses amis se sont cotisés pour acheter une pirogue et un moteur. En fonction de la quantité de poissons qu’ils attrapent, Issa revend ses poissons à M’bour, plus rentable, ou à Ndangane.

Issa, malgré une situation économique plutôt critique, fait partie de ces jeunes à s’accrocher aux études. Nombre d’entre eux ont déjà laissé tomber l’école pour se consacrer pleinement à la pêche. Au Sénégal, le taux d’alphabétisation avoisine les 58%.

A M’Bour, deuxième port de pêche du Sénégal, les pirogues colorées défilent presque aussi vite que les porteurs de poissons. Caisses sur la tête, anoraks sur le dos, ils jonglent entre les bateaux et les camions de chargement. Dans cette course d’une cinquantaine de mètres, des enfants les talonnent dans l’espoir de revendre le poisson qui aura le malheur de tomber.

Malgré une agitation permanente et une image désordonnée, le marché  de M’bour est très organisé. Entre l’arrivée des pêcheurs à 17h et le dernier départ des camions à 23h, le banc de sable entre la plage et le marché bouillonne. Dès l’arrivée des pirogues, parties parfois 40 jours en mer, charrettes et porteurs récupèrent les daurades, poulpes, murènes et crevettes prévues pour l’exportation. Il faut s’enfoncer dans l’océan pour atteindre celles de 45 mètres, qui livrent un butin plus conséquent.

Europe, Soudan, Chine.. Avant d’atteindre les pays étrangers, la marchandise passe d’abord par les usines de la capitale, qui assemblent et répartissent le poisson. Les plus belles pièces sont exportées en Europe (Grèce, France, Portugal) ou dans d’autres pays tels que le Liban ou la Turquie, par avion. Si le poisson ne se vend pas, il peut rester jusqu’à trois jours dans les chambres froides des usines. Le reste de la marchandise est revendue au Sénégal et dans les pays limitrophes (Mauritanie, Mali, Guinée, Gambie).

Dans ce pays de plus de 15 millions d’habitants, 600 000 personnes travaillent dans le secteur de la pêche. Au total, 450 000 tonnes de produits halieutiques sont débarquées chaque année, principalement destinées à l’exportation et à la consommation locale.



Un métier : porteur

La caisse rapporte entre 5000 et 6000 FCFA. Les porteurs gagnent 200 FCFA par caisse amené jusqu’au camion. L’équivalent de 30 centimes d’euros. Il faut donc courir vite pour en faire un maximum. Certains arrivent à faire 20 000 FCFA par jour (30 euros). Ils sont souvent originaires des pays limitrophes et ont laissé leur famille pour avoir un emploi au Sénégal.

Parfois le marché est tellement abondant, que les petits poissons sont rejetés dans l’eau, notamment les sardines. “Il n’y a pas assez de chambres froides pour tout garder” déplore Pap. Une certaine quantité est gardée pour être fumé, le reste est jeté à la mer. Il n’est pas rare de voir de longs bancs de de poissons morts sur les côtes du marché de M’Bour.

La pêche illégalement déclarée

Les eaux sénégalaises sont cernées par une multitude de bateaux étrangers. Selon une étude de l’Agence américaine pour le développement international (USAID), le Sénégal perdrait tous les jours près de 228,7 millions d’euros à cause de la pêche illégale pratiquée par des bateaux étrangers et sénégalais. Pour réguler cela, il a fallu établir un cadre législatif clair. En 2014, le gouvernement reconnaît que son cadre “ ne correspond plus aux exigences d’une bonne gestion des ressources halieutiques”. Un nouveau code a donc été établi en 2015 et renforce les sanctions contre la pêche illégale, non réglementée et non déclarée (pêche INN). Depuis, tous les navires de pêches, qu’ils soient artisanaux ou industriels, doivent décharger leurs poissons dans les eaux sénégalaises. Ainsi, ils approvisionnent les marchés intérieurs et les usines de traitement de poisson.

Les amendes ont également été augmentées et les navires de pêches n’obéissants pas à a législation peuvent être confisqués. Le chef du service départemental de la pêche et de la surveillance du département de M’Bour explique : “Le gouvernement a mis en place plusieurs mesures de gestion pour préserver les fonds marins, dégradés entre autres, par les chalutiers. Les bateaux industriels doivent désormais pêcher au delà de 6000 noeuds, sur la côte Nord”. Désormais, les pêcheurs artisanaux doivent posséder une licence, une plaque d’immatriculation, porter un gilet de sauvetage et respecter les zones de pêche maritimes protégées. “Pour le reste, ils sont limités uniquement par leurs moyens” rajoute le chef de la surveillance du département de M’Bour.

Une gestion du gouvernement qu’illustre Khalifa, surveillant d’une aire marine protégée à Nguaparou. L’Etat a donné à cette petite ville un bateau pour que d’anciens pêcheurs, tels que Khalifa, puissent protéger l’aire des “pirates”. Khalifa est chargé de punir les pirogues qui pêchent : il saisit le moteur ou donne une amende. Mais ces mesures restrictives n’ont pas l’air de marcher. “Tous les jours ils viennent, tous les jours” regrette Khalifa. Il est plus rentable pour les “pirates” de payer une amende que de ne pas pêcher dans ces zones, riches en poissons. Selon le surveillant, il faudrait que les amendes soient plus chères pour dissuader les fraudeurs. Elles sont actuellement de l’ordre de 500 000 FCFA à 1 millions de FCFA.

Un secteur clé

La pêche joue un rôle important dans la création d’emplois, mais aussi dans l’apport en protéines pour le continent africain. Pilier économique, la pêche pourrait garantir la sécurité et la souveraineté alimentaire du continent. Le Sénégal est le deuxième pays producteur de la sous région, derrière le Nigéria qui produit 530 000 tonnes par an.  Le 7 décembre 2017, un nouvel aéroport international a ouvert ses pistes sur le sol Sénégalais. L’exportation de produit halieutiques devraient donc être renforcée.  

Pêcheurs, porteurs, exportateurs, fumeries... Les petites mains du Sénégal permettent au pays de générer 200 milliards de FCFA tous les ans. La pêche est la première branche exportatrice du pays.   

Le secteur halieutique est prépondérant dans le pays. Un quart de la population active l’est dans ce secteur : constructeurs navals, pêcheurs, transformatrices..

Tal fabrique des pirogues à M’Bour. Les temps sont durs pour tout le monde, il le conçoit. Alors il accepte que certains pêcheurs lui paient uniquement la moitié de la somme due, avant de faire crédit. Il faut compter deux mois pour la fabrication d’une pirogue. Deux mois à la fin desquels, pour une pirogue de 22 mètres, il gagnera entre entre 400 000 FCFA (610€ ) et 500 000 FCFA (763€ ).

Abdou Sarr a 53 ans. Par choix et “par chance”, il est devenu charpentier dans le village de pêcheurs de Ndangane. Ce métier, il l’a appris seul, en regardant travailler les autres. Pour le moment, il travaille sur commande mais il envisage d’avoir les moyens de créer son stock. Pour une pirogue, Abdou Sarr travaille deux à trois semaines, en fonction de la taille commandée.

Elles sont nombreuses les femmes, à vendre le poisson pêché par leur mari. L’installation est rudimentaire : un seau, un couteau, un plat et un tabouret.

Seau en main, elles récupèrent le poisson dès l’arrivée du bateau au port, avant de le revendre sur le port ou dans la rue. Si tout le poisson n’est pas vendu, il faut alors acheter de la glace pour le conserver  et le revendre le lendemain.

Dans le village de Ndangane, près du delta du Sine Saloum, les spécialistes de la pêche à la crevette viennent de l’éthnie Peul. Appelés aussi pulards, l’ethnie apprend la pêche à la crevette dans les années 1960, en Casamance, à l’extrême sud du pays.

Suite à la raréfaction du produit, ils remontent dans le nord du pays, traversent la Gambie jusqu’à atterrir dans le Sine Saloum, une région naturelle traversée par un delta formé par la rencontre de deux fleuves : le Sine et le Saloum. Ils s’y installent durablement dans les années 1990. Aujourd’hui, les pulards doivent faire face avec difficultés à la nouvelle politique “écologique” du gouvernement.  




Ecologie vs Rentabilité

L’état a instauré une période de repos biologique pour la crevette.  Les mois de juillet, d’août et de septembre sont les périodes d’abondance pour le produit. Or, le repos biologique instauré par le gouvernement tombe au même moment. Les pulards réclament donc des subventions pour palier ce manque à gagner.

Destinées à l’exportation, le prix des crevettes est fixé par les entreprises et n’augmente pas. Les pêcheurs ont de plus en plus de mal à joindre les deux bouts. Une fois pêchées, des sociétés de Dakar affraitent des camions jusqu’au village de Ndangane, récupèrent le produit et le ramène dans la capitale pour la transformation et l’exportation.

Discrètes mais omniprésentes, les femmes du village de Ndangane sont actives dans toutes les étapes de la pêche artisanale : réception, tri, transformation et commercialisation sur les marchés locaux et régionaux.

Mais en septembre, pendant la saison des pluies, elles ne peuvent plus travailler. Par manque de locaux. La pluie empêche le séchage du poisson et dégrade les fours extérieurs, qui doivent être reconstruits tous les ans.

Pour les femmes du village de N’Dangane comme sur toute la côte Sénégalaise, un autre problème de taille surgit depuis quelques années : la concurrence étrangère.

Bien qu’en juin 2014, la FAO adopte des directives pour assurer la durabilité de la pêche artisanale pour lutter pour la sécurité alimentaire et l’éradication de la pauvreté, la concurrence étrangère frappe les femmes de plein fouet. Plusieurs usines de transformations des produits halieutiques s’installent sur les zones de débarquement. Elles viennent de Chine ou de Corée du sud et entrent en concurrence directe avec les petites mains.

Selon l’Association pour la Promotion et la Responsabilisation des Acteurs de la Pêche Artisanale Maritime (Aprapam), une dizaine d’unités industrielles se seraient installées entre 2011 et 2014 dans deux localités du Sénégal. Ces usines achètent aux pêcheurs artisans et exportent vers la Chine, la Corée et l’UE. Et entrent frontalement en concurrence avec les transformatrices.

Une histoire de famille

La pêche artisanale au Sénégal, c’est 15 000 pirogues pour 400 000 pêcheurs. Au total, 600 000 pêcheurs se partagent les eaux sénégalaises.La pêche artisanale est une pêche de subsistance. Le produit peut-être revendu mais entre villageois, a petite échelle. Ingrédient principal du “tiep bou dienn”, le plat local, le poisson est la première source de protéine pour les sénégalais. Ils en consomment 28 kg/an. 85% des prises ramenées sur la terre ferme le sont par des pêcheurs artisanaux.

La pêche artisanale est en première ligne face à la pêche commerciale : gros chalutiers dans les zones de pêche, pollution des côtes... Les nouvelles contraintes écologiques obligent les petits pêcheurs à porter des gilets de sauvetage, l’utilisation du filet mono-filament en nylon est devenu illégal et des zones maritimes protégées ont été crées. Elles permettent a des espèces comme le poulpe ou la crevette, victimes de la surpêche, de se régénérer.

Outre ces mesures restrictives, le gouvernement tente de protéger cette pêche largement fragilisée par les méthodes de la pêche commerciale. Il ratifie en 1984 une convention des nations-unies sur le droit de la mer. Ce texte stipule que l’exploitation de la zone économique exclusive, une zone dans laquelle l’état a le monopole de son exploitation, doit prendre en compte les besoins économiques des collectivités côtières vivant de la pêche. Il n’est pourtant pas rare que les pays côtiers vendent leurs droits d’exploitation à des chalutiers étrangers (européens, russes, coréens, chinois...), qui n’hésitent pas à utiliser des chaines pour racler les fonds marins.

Un code de conduite de la FAO de 1995, tente de prendre en considération les communautés traditionnelles pour l’aménagement de la production du poisson. Pour cela, en 2006, l’état a donc mis en place des comités locaux de pêche artisanales (CLPA). Ces comités permettent aux communautés de pêcheurs d’avoir la parole lors de la prise de décisions dans la gestion et l’aménagement. Depuis, 22 CLPA ont été installés.Les initiatives de cogestion locale sont validées par ces comités avant d’être soumis aux instances supérieures d’approbation.


Sénégal : Portraits de l’océan
  1. Pêcheur en apnée
  2. Capitaine d'une pirogue
  3. Une jeunesse en mer
  4. Une trajectoire internationale, M'Bour
  5. Les petites mains
  6. Peuls, pêcheurs de crevettes
  7. Femmes de pêcheurs
  8. La pêche artisanale